Ce blog est le support de la "recherche action" menée par la Fédération nationale de l'agriculture biologique depuis 2011, par et pour les paysans bio, pour penser et proposer les modèles conceptuels d'une "nouvelle économie de l'AB" en action.

jeudi 30 juin 2016

le changement d'échelle de la bio en question (1) : l'économie est une affaire politique

Les chiffres sont là. incontournables. Entre 2014 et 2015, le marché bio aurait "explosé" puisqu’il affiche une croissance de +14,7 %, avec une augmentation de 9% de producteurs bio (200 fermes par semaine), soit +23 % de terres bio. Il s’agit-là, selon l’Agence Bio, d’un “essor sans précédent. Et cette croissance s’intensifie début 2016. Le marché de la Bio a atteint en 2015 un total de 5,76 milliards d’euros, au-delà des premières prévisions à 5,5 milliards”. Cette réussite est notamment liée à la vente des produits bio que l’on trouve aussi bien en grandes surfaces, en magasins spécialisés que chez les producteurs et au succès de la vente en vrac.

On retrouve bien là le cadre historique de la bio ou la diversification des lieux de commercialisation qui ont évité, jusqu'à présent, qu'un seul acteur (la GMS?) décide du développement de la bio, de son référencement ou déréférencement en fonction des attentes supposés du marché (un épisode fâcheux en Grande-Bretagne il y a quelques années...). 



Fort de l'effet conjugué des aides PAC, de la crise agricole conventionnelle et d'un marché porteur, les producteurs bio comme les acteurs historiques de l'aval sont enfin confrontés à une nouvelle étape du changement d'échelle de leur filière après quelques années de lente progression voir stagnation  en tout cas du nombre de producteurs bio en France (2012-2014). L'occasion - réelle - de répondre aux questions posées par la recherche action de la FNAB lancée en 2011 par l'interpellation de Philippe Lacombe (voir la vidéo supra) sur la capacité de "nourrir les villes" en imposant les normes, valeurs et techniques de la bio dans une logique de succession réussie après l'échec d'une agriculture conventionnelle à bout de souffle.

On va où? "crise de croissance" et prophéties auto réalisatrices" appellent la réaffirmation des valeurs et pratiques coopératives contre l'économie tel qu'elle va

Le développement de la bio est inscrit comme un objectif central du réseau FNAB depuis notamment la plate forme "osons la bio" de 2012 qui fixait à 20% la SAU bio en 2020. Un objectif quantitatif qui détermine un horizon stratégique du changement d'échelle selon une analogie au principe de Pareto où 20% des causes (la bio) produirait 80% des effets (la transition écologique de l'agriculture). Dans son plan Ambition bio 2017, le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a inscrit  un objectif de doublement des surfaces sur la mandature (de 4 à 8%) en ne cessant de brandir le spectre d'une chute des prix si les filières n'étaient pas organisées. Un message constant depuis 2012 en guise d'avertissement alors même que le marché de la consommation était en hausse sur toute la période.

En 2015-2016, la barre des 5% de la SAU vient d'être franchie et déjà une crise de croissance est perçue par certains opérateurs "historiques" qui s'interrogent sur le risque de chute des prix dans les filières bio principalement concernées par cette arrivée des volumes (céréales, lait).
Ce fut l'objet du débat de la fédération "lait Bio de France" en mars mettant en évidence des impératifs d'accompagnement des producteurs et de régulation nationale via les organisations économiques en lien avec les prérogatives étatiques. En attendant, la presse économique ne peut que constater que "La filière de lait biologique française résiste quant à elle mieux à la crise, soutenue notamment par une auto-régulation de ses producteurs et une demande soutenue. Le prix payé à l'éleveur avoisinait l'an passé les 450 euros la tonne de lait, contre 288 euros en conventionnel."
Mêmes enjeux précisés par exemple par Coop de France sur l'organisation économique des filières végétales: "Christophe Lecuyer appelle finalement les futurs producteurs convertis à « s’inscrire au sein de filières organisées, afin de ne pas déstabiliser un marché encore fragile et en plein essor. La demande est là, à nous d’organiser le marché pour le protéger des fluctuations spéculatives auxquelles est confrontée la filière conventionnelle. »" En clair, les céréaliers convertis sont invités à ne pas reproduire un fonctionnement d’opérateurs spéculatifs isolés sur les marchés "spot", sortir de l'instant présent pour rejoindre une organisation collective et planifiée des filières bio.

Malgré ses différences, le monde de la production entend bien sortir de la prophéties auto réalisatrice de la "chute des prix" qui pourrait fort bien satisfaire les opérateurs de l'aval et donner raison aux inquiétudes ministérielles... Vous voyez, on vous l'avez bien dit!  Pour autant, "l'esprit sain" de la bio ne pénètre pas seul les convertis. Il faut un réel accompagnement pour réussir cette acculturation des nouveaux producteurs à une logique technico-économique de la production bio composant des obligations agronomiques (rotations longues, fertilisation organique, diversité des assolements, lien au sol etc.) avec une mise en marché forcément coopérative plutôt que concurrentielle. Cette structuration des filières appelle un renforcement des moyens d'accompagnement pour tous les réseaux, un enjeu de politique publique au moment où l'Etat fait défaut sur ses crédits "anim bio" dans certaines régions, où les Conseils régionaux annoncent des baisses importantes de moyens  et que les Conseils départementaux remettent en cause leur capacité de financement pur cause de loi Notre.

Les producteurs du réseau FNAB ont ressenti ce besoin de clarifier un peu plus l'actualité du projet de la bio dans cette nouvelle phase du changement d'échelle en adoptant une Charte des valeurs lors de leur AG du 5 avril 2016. On y retrouve, pour la partie "économie équitable dans les territoires", le rappel de principe d'action comme des relations commerciales équilibrées et à visée équitable entre les parties prenantes, négociées si possible à l'échelle de territoire de projets coopératifs. On a bien à faire à "nouveau mouvement social économique", un projet de société alternatif qui entend remettre en cause l'ordre social, à savoir ici une économie agricole qui situe la valeur ajoutée à l'aval de la filière et fragilise structurellement les producteurs en appelant à chaque fois la contribution publique à la rescousse. Ce principe qui veut que l'économique est bel et bien politique et constitue un projet de société en soi est dénoncé pourtant par un syndicat agricole comme la Coordination rurale: "Toute personne est libre et responsable de ses engagements politiques, mais la CR estime que les responsables agricoles ne doivent pas utiliser leur fonction pour promouvoir des idées qui touchent à ce domaine privé, et encore moins tenter d’enfermer les producteurs bio dans un projet qui excède largement les débats sur l’agriculture biologique. " Les producteurs bio de la FNAB n'ont pourtant appelé à voter pour aucun parti politique en particulier.
  
Extraits de la Charte FNAB:



Les agrobiologistes et leurs partenaires souhaitent construire des filières innovantes, territorialisées, durables, et équitables afin de donner l’accessibilité, pour toutes et tous, à des produits de haute qualité nutritionnelle et organoleptique.

 Des filières qui s’attachent à partager, sur un territoire, un projet commun entre des acteurs parfois très différents, afin de valoriser, toutes les dimensions de l’agriculture biologique, à savoir la rémunération économique mais aussi les valeurs environnementales et sociales : vivre de son métier dans des conditions sociales valorisantes pour l’agriculteur mais aussi ses salariés s’il en a.



Pour cela nous devons :



1- Construire une nouvelle culture agro-alimentaire basée sur la coopération entre acteurs. Les relations commerciales doivent se faire dans le respect de l'équité entre tous les acteurs (producteurs, transformateurs, distributeurs, fournisseurs, consommateurs) en circuits longs comme en circuits courts.



2- Promouvoir une contractualisation équitable pour une construction durable et cohérente des filières. Les équilibres doivent être recherchés entre le développement des productions animales et végétales.



3- Favoriser le partenariat transparent et sincère des acteurs des filières sur de véritables projets de territoire, en lien avec les collectivités locales, notamment des coopérations interrégionales.



4- Travailler à une organisation du marché permettant de pratiquer à tous les échelons de la filière des prix équitables, résultant d’une concertation transparente sur le partage de la valeur ajoutée entre acteurs au sein de la filière. Œuvrer à une juste répartition des richesses.



5- Encourager le développement d’outils de transformation et de filières adaptés aux spécificités des produits bio : variétés non standardisées, volumes spécifiques, grande diversité de productions et de mélanges de produits, etc.

6- Construire une dynamique de développement garantissant la pérennité des fermes bio, des outils économiques et des entreprises, notamment par une cohérence et une complémentarité territoriale.



7- Développer les filières par l'accueil des nouveaux acteurs et/ou par des conversions progressives et réalistes.



8- Privilégier les approvisionnements et la distribution de proximité ;  dans le cadre  des échanges commerciaux qui favorisent une société respectueuse de l’autre, de la vie de la planète et des générations futures.



9- Participer à l’émergence de méthodes et moyens alternatifs, d’économie sociale, solidaire et équitable, notamment au niveau financier.

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