Ce blog est le support de la "recherche action" menée par la Fédération nationale de l'agriculture biologique depuis 2011, par et pour les paysans bio, pour penser et proposer les modèles conceptuels d'une "nouvelle économie de l'AB" en action.

mercredi 16 décembre 2015

Vive la stratégie érotique mondiale!

11 décembre 2015. Table ronde introductive de la journée de réflexion et d'échanges sur la thématique du prix, organisée par la Plate-Forme Française pour le Commerce Equitable (PFCE), avec la collaboration de la FNAB, le réseau Inpact et FairNESS (réseau de chercheurs francophones sur le CE).

D'abord la philosophie. Patrick Viveret, a ouvert cette journée pour nous faire entrer en résistance contre la novlangue de l'economisme. La richesse, c'est ce qui compte; la valeur c'est la force de vie. Le prix doit être entendu au-delà de la valeur monétaire comme une relation interculturelle où les parties qui échangent se posent la question de ce qui est constitutif de ce prix.

Patrick Viveret

Jean-Claude Balbot, paysan et représentant du reseau Inpact, illustre bien la dimension purement sociale du prix quand il témoigne de son parcours "d'action recherche"  en 40 ans d'activité d'élevage. Il s'agit pour lui au départ de savoir ce qui constitue pour lui un prix"rémunérateur". Ne pas être producteur de matière première pour l'agro-alimentaire et la grande distribution mais bien garder la valeur ajouté sur la ferme.  En inventant un "nouveau métier " en vente directe il découvre aussi des contraintes en quantité de travail sans savoir comment forcément  fixer ses prix... L'action recherche est bien une pratique sociale de solidarité entre acheteur et vendeur.  Rien qui ne ressemble à un ordre naturel des choses fixant l'offre et la demande. 

Jean-Claude Balbot

Jean-Christophe Kroll, professeur d'économie à Agrosup Dijon, rappelle en effet qu'en agriculture, le paradigme du marché ne fonctionne pas. Cette démonstration date au moins des économistes qui entourent Roosevelt et qui l'amèneront à mettre en place des politiques de contrôle de l'offre et de soutien de la demande.  Cette instabilité permanente des marchés est d'ailleurs très coûteuse.  Elle disuade les investisseurs de s'engager dans des systèmes de production durable qui ne garantissent pas leurs prix. Pourtant des "fous" ont investi dans ces innovations,  paysans et acteurs économiques.  Leur militantisme ne semble pas partagé par la majorité...

J-C.Kroll

Marc Dufumier, agronome et président de la pfce, va plus loin encore en évoquant les "externalités négatives " qui font le prix injuste d'un produit pas cher au départ comme un litre de lait, mais qui au final reviennent fort cher a la collectivité (algues vertes, antibioresistance, effet de serre) en étant le produit d'une inégalité économique  (endettements des agriculteurs perte d'autonomie jusqu'au suicide parfois).

Un prix juste relève donc bien d'une intention humaniste qui questionne la nature destructrice ou créatrice de la production du bien ou du service. Un prix juste questionne les mécanismes de régulations macroéconomiques puisque Jean-Christophe Kroll nous rappelle, preuves à l'appui, que plus on pollue en agriculture plus on touche de subventions.

Un prix juste est aussi un moyen de relier les gens entre eux nous dit Amina Bécheur, chercheuse à l'institut de recherche en gestion, confirmant le questionnement du paysan chercheur. L'échange relationnel ou éthique nous sort de la transaction de court terme. On signifie dans la recherche du prix juste quelque chose sur la manière dont on conçoit l'autre. L'exploitation agricole en ce cas "fait société " surtout si les parties se placent dans une logique où chacun peut obtenir une capacité d'agir. Jean-claude Balbot montre toute l'intérêt et la complexité d'une approche où la transaction ne doit pas remettre en l'existence même du vendeur ni aller au-delà du prix d'existence de l'acheteur.

Amina Bécheur

Nayla Ajaltouni, coordonnatrice du collectif de l'Ethique sur l'étiquette, élargie encore le spectre en présentant les travaux des Ong et mouvements sociaux et syndicaux d'asie du sud est ou du Maghreb  qui entendent concrétiser la norme internationale (Oit) d'une rémunération juste et digne. Cette définition d'un panier de biens vitaux comprenant aussi les moyens de subsistance de long terme dans des pays dépourvus d'Etat providence aboutirait ainsi à un salaire de 250 euros par mois contre 48 aujourd'hui au Bangladesh pour une semaine de 48h de travail hebdomadaire contre parfois 120 actuellement. Intéressant de savoir par ailleurs que la marque H&M est le premier donneur d'ordre pour ce pays. Sommes-nous toujours conscient de l'état social de la production? Et si oui, concevons-nous forcément le travailleur comme une quantité négligeable dans notre désir de consommer de la mode pas chère? 

 Nayla Ajaltouni

Marc Dufumier revient sur cette dimension subjective, située de la définition du prix juste en référence à un panier de bien. L'exercice est indispensable,  et pour partie arbitraire, il faudra l'assumer. Assumer cette construction sociale et politique du prix dans toute sa complexité. Assumer aussi de redéfinir toutes les politiques économiques qui ne permettent pas aux paysans et travailleurs des pays du sud de vivre dignement. Savons- nous par exemple qu'il faut 200 fois plus d'heures de travail pour un kilo de riz piqué à la main par une paysanne au sud que pour une exploitation mécanisée de Camargue ou de l’Arkansas? Sans barrière protectionniste, la paysanne du sud doit accepter une rémunération 200 fois moindre pour le même kilo de riz. Il faut mettre fin aux marchés à terme et aux monopoles qui contrôlent ces échanges.

Nayla Ajaltouni rappelle que seules les multinationales échappent à une redevabilité juridique à la différence des Etats et des personnes. Le consensus est clair sur la nécessité d'une régulation renforcée et sur la nécessité de soutiens aux démarches innovantes par des contrats justifiant du paiement public de contreparties d'intérêt général comme la protection de l'environnement et la santé, la création d'emplois etc. Faut-il que ces contrats demeurent des subventions directes aux agriculteurs assurant ainsi un complètement de prix ou bien le déconnecter complètement de l'acte de production? 

Marc Dufumier plaide pour un renversement et le fléchage des aides Pac à la commande publique de produits de qualité et locaux. Le moyen de répondre,  par l'alimentation sociale, à la question du prix d'existence de l'acheteur sans remettre en cause le vendeur pour autant. Il répond plus précisément encore à la question du paysan chercheur qui aimerait bien connaître les consommateurs au-delà de la vente directe à la ferme. Toujours ce prix qui relie les gens entre eux.

Marc Dufumier

Ce prix "d'existence" est celui qui fait qu'on a une "bonne vie"pour Jean-Claude Balbot dès lors que l'on a pris la mesure des choses vitales pour soi et les autres. Patrick Viveret appelle la société civile à hausser le niveau d'exigence et d'ambition. Ce "peuple de la terre" doit penser les biens communs et les générations futures. Monter en qualité de conscience. Faire une citoyenneté mondiale autour des initiatives créatrices de vie qui existent partout.  Cette puissance créatrice citoyenne, c'est l'Eros contre la démesure (20 000 milliard de dollars dans les paradis fiscaux) et la destruction. Une "stratégie érotique mondiale" appelée de ses vœux le 11 décembre 2015.

pour voir le débat qui à suivi la table ronde: cliquez ici

mercredi 28 octobre 2015

Rapprocher Bio et ESS, c’est vital ! illustration pour des circuits courts d'économie sociale et solidaire

un édito du président du labo de l'économie sociale et solidaire (extrait)
Publié le 22 octobre 2015 
Edito Octobre d’Hugues Sibille, président du Labo de l’ESS.
Le Labo de l’Ess est tout naturellement partenaire de la campagne de nos amis de la Fédération National de l’Agriculture biologique : "manger Bio local, c’est idéal". Nous partageons en effet complètement la conviction que l’agriculture bio est favorable à l’environnement, en maintenant la vitalité des sols et des eaux, au climat - en permettant le stockage du carbone - à l’économie de proximité - en localisant la valeur ajoutée et les emplois - à la santé - avec une utilisation bien moindre de résidus de pesticides... Tout cela fait partie de nos propres combats pour une conception plus durable de l’économie, à l’heure de la Cop21 à contrario du développement de l’agriculture de ces dernières décennies.

voir également les travaux du labo sur les circuits courts d'ESS:



Si les circuits courts sont surtout connus dans le secteur de l’alimentaire (définition du Ministère de l’Agriculture), notre définition, formulée à partir des initiatives du groupe de travail, ouvre cette forme d’échange économique dans de nombreuses autres filières : finance locale (voir par exemple SPEAR), culture (avec les AMACCA), habitat (par exemple la filière bois)…
Exemples illustrés sur la vidéo suivante :

Les circuits courts de l'Economie Sociale et Solidaire from Le Labo de l'ESS on Vimeo.

Les circuits courts constituent une véritable approche économique qui participe à l’économie plurielle actuelle, en connexion avec d’autres formes d’économie novatrices – économie collaborative, économie contributive, économie de la fonctionnalité… L’ensemble de ces approches constitue une véritable force pour dépasser les dérives de notre système actuel.

Comment démontrer la force transformatrice des circuits courts ? Peut-on développer des indicateurs capables de mesurer leurs impacts ? Un circuit court peut-il changer d’échelle sans perdre les valeurs fondatrices du projet ? Quelles propositions concrètes de développement des circuits courts ? Voilà les questions qui ont conduit le LABO à choisir les circuits courts comme l’un de ses quatre axes de travail, avec les PTCE, les outils financiers solidaires et le réinvestissement des banques sur les territoires.

Les circuits courts sont plus que jamais sous le feu de l’actualité, avec un appel à projets dans le cadre du PIA en 2014, un appel à projets vers les projets socialement innovants de l’économie locale et collaborative de la Région Ile de France mais aussi une présence médiatique et concrète de plus en plus importante.

Les travaux du LABO sur ce sujet sont multiples : animation d’un groupe de travail, publication de documents, participation à des colloques (lien vers RNET juin 2014), inscription dans d’autres groupes de travail (lien ADEME)… Nous souhaitons faciliter la compréhension et la démocratisation de cette approche économique, afin de multiplier leur prise en compte dans la transformation actuelle de l’économie.





Séminaire "Prix équitables : entre utopies et pratiques sur les territoires" - le 11 décembre 2015 à Paris

un colloque organisé par la PFCE, le réseau INPACT et la FNAB


jeudi 18 juin 2015

Une intuition


Rencontres professionnelles de l'Agence BIO du 9 juin 2015

Réduire les coûts dans l'introduction de produits bio en restauration collective? Le maire de la commune écologique de Langouët, Daniel Cueff, nous rappelle comment avec humanité et bon sens il est possible de créer une cantine 100% bio au cœur d'un territoire emblématique de l'agriculture intensive.

Assumer la fonction élective en refusant la démocratie participative qui aurait diluée l'intention de départ.  C'est théoriser et mettre en pratique une démocratie implicative sur la base d'une cantine 100% bio ou pas issue de la volonté des élus face aux électeurs. Concerner les gens. Dans l'omelette aux lardons, la poule est impliquée le cochon lui est concernée. ..

Un exemple clair de la construction d'une nouvelle économie "verte" qui touche aussi bien la production d'électricité que la decarbonisation de l'énergie communale avec une filière bois énergie.

Dès lors, l'intuition des élus est une économie qui s'invente pas à pas, au plus près des réalités de terrain et de la prise en compte des facteurs humains comme les enfants (que faire avec les leaders négatifs?) ou la cuisinière (tout ce qu'elle aurait fait avant ne serait pas reconnu?). S'appuyer sur le Gie du 35 et d'une approche collective des paysans bio, penser des menus végétariens, jouer sur la saisonnalité des productions végétales et animales,  éviter les gaspillages etc. 

Voir la vidéo


dimanche 19 avril 2015

une histoire de lait révolutionnaire

Assemblée générale de Biolait. Debat public des 20 ans, jeudi 16 avril 2015

600 personnes présentes pour ce débat organisé par Biolait pour ses vingts ans, la présence du vice président du conseil régional,  du député Yves Daniel et du sénateur Joël Labbé.



Marc Dufumier, président de la plate forme française du commerce équitable, est intervenu pour dire que cette "utopie" d'une filière bio qui remplacerait le conventionnel n’était pas une idée folle comme le dit le slogan de Biolait: "du bio partout et pour tous!". 145 millions de litres, 30% du marché et 1200 producteurs, 20 ans après les 6 fondateurs, l'entreprise est devenue un exemple du changement d'échelle attendue pour la bio. Non sans poser encore les questions fondamentales de la constitution du prix juste payé au producteur et des conditions des marges des intermédiaires jusqu'au consommateur. Un débat interne qui a fait l'histoire du collectif de producteur, de ses limites et des compromis actuels que sont venus rappeler quatre anciens présidents en tribune (le prix du cout de revient fonction de l'autonomie du système, le prix payé fonction des choix de mutualisation entre producteurs...).

Marc Dufumier a également posé la question de l'équitabilite de la filière du point de vue de l'accès des publics défavorisés aux produits bio. Il a souhaité que les pouvoirs publics s'engagent sur l'introduction de produits bio en restauration scolaire notamment. Il y a urgence a t-il dit à nourrir les générations futures avec des produits exempts de pesticides et de perturbateurs endocriniens. Il a proposé que la politique agricole commune puisse rémunérer les services d'intérêt général rendus par les agriculteurs même conventionnels des lors que leurs pratiques produisent effectivement des services pour la biodiversité et la protection de l'environnement.


Stéphanie Pageot, présidente de la Fnab (ci-dessus en photo),  a rappelé que c’était précisément l'objet de la mobilisation du 17 mars dernier sur l'aide "maintien"; pour elle, les producteurs de Biolait portent bien ce rêve initial d'une organisation collective de production à même de pouvoir maitriser une partie de la filière dans la durée. En ce sens, le développement de la bio passe par des organisations économiques qui croient à la bio, c'est-à-dire qui développent des volumes pour développer des marchés. Une stratégie payante quand la demande est là,  plus risquée quand il faut trouver de nouveaux clients (et c'est dans une situation de risque qu'on mesure l'engagement...). C'est là que se joue notamment l'accompagnement des cédants et des porteurs de projets pour assurer la relève, ou encore la possibilité de soutenir les conversions des fermes laitières.

A ce titre, Marc Dufumier émettra aussi l'hypothèse d'une demande de bio soutenue par les récentes affaires de viande de bœuf qui n'en n’était pas... Il a fait rire l'assistance en se souvenant que le pouvoir d'achat des asiatiques les avaient rendus tolérants au lait... Mais que ce mirage de la poudre de lait devait se dissiper dès lors qu'on constatait l'ampleur des fermes usines ailleurs dans le monde et les investissements concurrentiels des industriels chinois en Europe. Nous ne serons jamais compétitif sur des productions tout venante. De la qualité et du local bio pour nourrir les villes. Quid de l'accessibilité? Changer radicalement l'économie pour que tout le monde puisse en vivre répondra t-il.

Un programme d'utopie réformatrice assumé et fort apprécié par les producteurs "rêveurs" de Biolait, fiers semble t-il des réalités qu' ils ont construit ensemble en 20 ans.

>> retrouvez notre lettres filières "lait": http://www.fnab.org/images/files/actions/filieres/lettresfilieres/lf03_lait.pdf

mardi 14 avril 2015

Prenez en soin de mon petit cochon rose, monsieur le ministre

La FNAB a organisé un colloque public lors de son Assemblée générale le 9 avril 2015 à Dunkerque. Le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a répondu présent à notre invitation, une arrivée qui n'a pas manqué de déclencher une demande d'audience de la part d'une délégation locale de la FNSEA. Entourés des forces de l'ordre, nous attendions sous le soleil l'arrivée du cortège républicain, toujours impressionnant, du ministre et négocions avec cette délégation son entrée dans le palais des congrès (drapeaux, pas drapeaux...).

(photo: Sarah Alcalay)






Deux délégations syndicales cohabitaient à quelques mètres l'une de l'autre, toutes deux dans l'attente du représentant de l'Etat encore investi de fonctions politiques et symboliques semble t-il indispensables aux mondes agricoles en tension. La FNAB avait choisi d'intituler son colloque "une ambition bio: réussir la transition écologique des territoires", tout un programme motivé notamment par la prospective du Nord Pas de Calais sur la 3ème révolution industrielle théorisée par Jeremy Rifkin (voir vidéo ci-contre pour l'exemple de la ville de Loos-en-Gohelle).

Chacun discourait avec son camp dans cette étrange ambiance inter professionnelle si proche (entre éleveurs) et si distante à la fois (entre organisations). Dans un intervalle, nous fûmes quelque uns à entendre le représentant de la FDSEA évoquer à ses troupes l'expression "d’acceptabilité sociétale de la compétitivité". Un tout autre programme en effet que la transition écologique des territoires. Un programme en soi mais surtout une stratégie dévoilée en une phrase choc. Quelques minutes après, le ministre arrivait et s'arrêtait devant la délégation en question. Nous pouvions assister, avec les journalistes, à la remise d'un petit cochon rose en plastique par un producteur demandant, non sans émotion, au représentant de l'Etat d'en prendre soin au nom de la filière qu'il représentait, fier de sa production et certainement inquiet pour son avenir.


Le colloque public fût l'occasion de parler d'économie agro-alimentaire dans une logique en transition, où les productions de qualité seraient écoulées dans des filières équitables et territorialisées (vidéo ci-dessus). Ce qui fit dire au Ministre Stéphane le Foll tout le bien qu'il pensait de la logique "je produit et on verra après" dès lors qu'il devait ensuite recevoir les mêmes responsables l'appelant à la rescousse car "j'ai produit mais je ne vends pas". Le colloque fut aussi l'occasion pour Stéphanie Pageot, Présidente de la FNAB, de rappeler qu'il fallait parler de "compétitivité plurielle" pour pouvoir justifier de "l'acceptabilité sociétale" pour des filières agro-alimentaires qui ne peuvent s'exonérer des conséquences environnementales et sociales de leurs activités (cf. l'étude MEDDE-CNRS sur le Nord Pas de Calais, ou la vidéo du colloque du 5 décembre 2014, article précédent).

Il y a, on le voit, de réels convergences d'intérêts entre des producteurs soucieux d'incarner une production locale de qualité et d'en vivre d'une manière cohérente. Il y a aussi de profondes divergences politiques et stratégiques sur le type de modèle économique pour y parvenir; avec au coeur du sujet, la place qu'on accorde à la société dans un débat démocratique sur l'économie agro-alimentaire que nous voulons pour nos territoires.
Julien adda