Ce blog est le support de la "recherche action" menée par la Fédération nationale de l'agriculture biologique depuis 2011, par et pour les paysans bio, pour penser et proposer les modèles conceptuels d'une "nouvelle économie de l'AB" en action.

jeudi 23 février 2012

Un monde dans tous ses états

La recherche action de la FNAB s'inscrit dans un contexte général de notre système économique et politique. Pouvoir imaginer l'avenir de notre système agro-alimentaire, très concrètement, suppose de se situer dans ce contexte. Alain Delangle, producteur participant à la recherche action, nous propose de visionner ce documentaire d'Hubert Védrine pour Arte. A voir notamment l'intervention d'Olivier de Schuter, rapporteur spécial de l'ONU.

"Fin de croissance à crédit et des folies financières, imprudence des banques, explosion de la dette publique, démographie galopante, aggravation des écarts de richesse, urbanisation tentaculaire, changement climatique, raréfaction des ressources, généralisation de la pollution, effondrement de la biodiversité, risques persistants de conflits, "gouvernance" mondiale introuvable, convulsions dans la zone euro... : aujourd'hui, tous les voyants sont au rouge. Nous vivons la plus importante séquence de bouleversements des équilibres de la planète. Si la plupart d'entre nous, surtout en Occident, s'en inquiètent, d'autres y voient une renaissance, une chance historique pour qu'advienne un nouvel équilibre des rapports mondiaux." France 2011, 77 minutes.

Voir  la vidéo ici


jeudi 9 février 2012

Quelle est la question?

Le 3 février 2012 étaient réunis à Paris un panel de producteurs bio, de salariés du réseau Fnab et de chercheurs associés pour tenter de poser une question de recherche à partir de leurs pratiques et questionnements.  Cette étape incontournable d’une recherche action doit permettre de clarifier les postulats de départ, les orientations stratégiques et les concepts à mobiliser pour être au plus près du sujet.

Une question de démocratie

Avec l’animation d’un chercheur en recherche action, les participants ont tenté de structurer leurs attentes pour le secteur bio en partant du contexte : pourquoi la bio n’est pas le modèle « conventionnel », c’est-à-dire celui qui fait « convention » et qui est le modèle dit « dominant » ?  Une fois rappelé les analyses connues sur les conditions sociales et politiques qui maintiennent l’agriculture conventionnelle dans une position dite dominante (logiques d’externalisation massive des coûts, solvabilisations publiques multiples, consensus historique du productivisme etc.), la question s’est posée de clarifier le type des modèles souhaités en valeurs et en pratiques, ces dernières étant en tension permanente dans le cadre d’une activité économique.
Deuxième niveau de questionnement  autour de modèles à créer ou développer qui soient soutenables, durables du point de vue des enjeux économiques (viabilité, équitabilité), sociaux (promotion), environnementaux et de la gouvernance, c’est-à-dire de la prise en compte des enjeux démocratiques de l’économie du secteur agricole (place et rôle des parties prenantes au-delà des acteurs économiques). La reconstruction d’un modèle passe donc par cette phase de déconstruction, c’est-à-dire de fin du système néo-corporatiste de gestion de la filière agricole, « trop importante pour être laissée aux seuls représentants agricoles ». L’agriculture, l’alimentation sont des sujets effectivement  vitaux pour une population qui deviennent, de fait, des politiques publiques sensibles et chargées d’enjeux. Comme pour le reste de l’économie, en crise, la question de la gouvernance économique d’une filière est bien celle de la « démocratisation », c’est-à-dire de dispositifs institutionnelles au niveau entrepreneuriaux comme politiques qui associent les parties prenantes (consommateurs, pouvoirs publics, associations etc.). 

Une question d’éthique

Dès lors, la finalité éthique de ce questionnement économique sur l’agriculture et l’alimentation est celle de la justice. Les « nouveaux » modèles doit mettre fin à des injustices structurelles comme la répartition inégale de la valeur ajoutée entre producteurs – transformateurs et distributeurs, comme l’accessibilité de produits de qualité pour toute la population, comme mettre fin au principe du pollué-payeur et au financement public des pollueurs, au « rentes de situation » dénoncées aujourd’hui par des institutions publiques etc. Cette finalité éthique sur une économie équitable et démocratisée est aussi un préalable dans l’économie des producteurs bio. Peut-on baser ce modèle sur le principe de l’agriculteur ou de l’exploitation « marginale » qui, en dessous de références technico-économiques données (par l’aval ?), ne serait plus viable ? La réponse est non autant pour les projets d’installations dit « atypiques » en bio que pour les regroupements de producteurs à même de définir des prix moyens tenant compte des prix de revient plus élevés des exploitations plus petites ou plus diversifiées. On entre alors dans la dimension des valeurs (mutualisme, coopération, diversité…) en pratique (régulation à tous les niveaux). Donc dans des problématiques d’organisation économique.

Une question de territoires

Impossible de penser ce nouveau modèle sans repenser le territoire de son économie (culturel, géographique, économique issu du travail humain). Cette question territoriale se pose déjà comme économie des « niches »[1] ou des marchés « singuliers »[2] au sein d’un modèle dominant : on peut continuer à se développer ainsi mais jusqu’où ? Comment peut-on articuler le développement du nouveau modèle avec des éléments de « l’ancien », et lesquels, dans quelles conditions ? Quels territoires partageons-nous économiquement avec l’agro-alimentaire conventionnel ?  Il y a bien de toute évidence une économie de la bio qui va d’un territoire exclusif (autonomie recherchée de l’exploitation et du commerce) à des territoires plus ou moins partagés (collaboration d’investissement, de distribution etc.). Géographiquement et économiquement, le point de départ (mais non d’arrivée) du nouveau modèle est le « local », en tant qu’il créé la possibilité facilitée d’une organisation des producteurs entre eux, qui permet le lien plus direct avec les consommateurs dans une logique vraiment promotionnelle du marché de la bio (parcours de citoyens responsabilisés…), et qu’il rend possible la diversité économique des exploitations. Filières courtes comme base du nouveau modèle dès lors qu’elles répondent aux enjeux cités plus haut : juste rémunération des producteurs, diversité des exploitations, accessibilité des produits, externalités mesurables etc. Les filières longues sont néanmoins indispensables pour articuler les territoires entre eux dans une logique presque de « péréquation » (écoulement des sur-productions, lissage des différences pédo-climatiques de productions) en opposition à des filières longues qui au contraire organisent la concurrence des territoires, au niveau national, européen et international.
Cette réflexion n’est pas une simplification de la réalité. Elle pointe justement la complexité par exemple de la fixation des prix en amont des filières, ou encore des modèles d’articulations intelligentes entre filières longues et courtes, ou encore de la gestion du pouvoir au sein des organisations de producteurs bio ou non bio.

La question est :

Quels modes d’organisation des producteurs pour accompagner le changement d’échelle de l’agriculture biologique et permettre une économie agro-alimentaire relocalisée, durable et équitable ?
La FNAB organise un séminaire public le 20 mars prochain à Paris pour débattre des points clés posés par les participants le 3 février.

Julien Adda, délégué général FNAB



[1] Renvoyer la bio à un « marché de niche » est en soi une volonté de déligitimation de la filière et une erreur économique si l’on considère que le secteur agro-alimentaire est un ensemble de marché de niches sur lesquels se positionnent les producteurs et industriels les uns par rapport aux autres en permanence (cf. l’analyse de Harrisson White sur le marché comme ensemble de niches).

[2] Là encore les réflexions de la recherche action portent sur la construction socio-économique du marché et s’opposent à l’idée d’un « marché » existant indépendamment des relations entre les parties prenantes (la bio se distinguant justement comme une co-construction entre consommateurs, producteurs, transformateurs et distributeurs spécialisés).  Ainsi, l’approche socio-économique des « marchés des singularités » est intéressante en ce qu’elle suppose que la décision d’achat n’est pas le seul fait d’une évaluation par le calcul utilitariste mais par un jugement plus large basé sur la confiance (cf. l’ensemble de critères du produit bio ainsi analysés : certification, labels et marques privées, indications géographiques, etc.) situant le consommateur au cœur de réseaux.  Voir Lucien Karpik http://www.scienceshumaines.com/le-marche-des-singularites_fr_24192.html